SÉNÉGAL : DE L’EAU MINÉRALE POUR ÉTEINDRE LE FEU ?

Publié le 08/03/2021
Amadou Lamine Sall

D’abord saluer cette journée internationale de la femme éclipsée dans notre pays par ce paysage sombre qui l’étreint. La femme est un don indéfinissable. Elle participe du mystère divin.



Saluer également la disparition d’une figure africaine de légende : l’écrivain Djibril Tamsir Niane. Ce n’est pas seulement la Guinée qui lui doit une vraie tombe, mais toute l’Afrique. Plus nous avançons dans les délires sociétales et technologiques du monde moderne, plus nous avons besoin de nous réfugier dans nos cultures ancestrales pour y trouver les remèdes. Parmi d’autres enseignements de ce prodigieux écrivain et historien, nous retiendrons celle-là.

Notre pays est dans les cyclones ! La mer monte. Mais il y a toujours un temps où les vagues se retirent. Elles se retireront mais seulement quand, de part et d’autre, nous nous parlerons, nous nous respecterons, nous n’aurons d’yeux que pour un seul et unique horizon : l’arc-en-ciel du Sénégal !

Les morts ne parlent pas. Seuls les vivants parlent. Nous devons parler. Nous devons surtout nous parler et vite ! Évitons les clans ! Fuyons les clans ! Fuyons les rivalités ! Rassemblons-nous autour de l’essentiel : l’image de notre pays et ce pays a mal quelque soit le bord où l’on se trouve ! Ni le pouvoir ni l’opposition n’y gagne. Ceux qui nous regardent et qui nous aiment, ont également mal.

L’eau qui éteint le feu n’a pas besoin d’être une eau minérale ! Mais pour que le feu s’éteigne aujourd’hui dans notre pays, nous avons besoin d’une grande eau minérale : celle que représente le Chef de l’État.

Que le Président s’exprime aujourd’hui ou demain ou bien plus tard selon sa propre horloge est un mal nécessaire. Quand le Secrétaire général des Nations Unies s’exprime sur notre pays, c’est qu’il est temps d’éteindre le feu. Quand le Chef de l’État reçoit la communauté musulmane et chrétienne le dimanche 07 mars, venue ensemble le rencontrer, cela suscite des espoirs. La crise sanitaire mondiale suffit comme catastrophe. Elle nous a déjà pris beaucoup de nos valeureux fils. Elle pompe nos ressources et met en péril toutes nos prévisions budgétaires. Y ajouter un autre drame, serait de trop !

Le Président est l’élu. Il porte, le premier, la voix du Sénégal. Il en est le premier miroir. Nous lui demandons bien respectueusement de nous montrer le chemin. Sa parole compte. Plus encore les actes à poser pour poser en douceur sur le tarmac un pays entré dans la tourmente. Il est notre pilote. Ses heures de vol attestent de son expérience de l’État. Il peut sauver l’avion, le poser sur une piste de laine. Et tout le monde rentre sauf à la maison, sans même passer par la police des frontières, car il se fait tard.

En Afrique, plus que partout ailleurs dans le monde, il arrive que la séparation des pouvoirs fasse sourire. Tant pis ! Considérons, comme principe, que dans un État de droit, la justice est libre et indépendante ! Dans ce cas, le président de la République a des pouvoirs limités. Mais nous pouvons également considérer qu’il soit possible et utile que le seul élu du peuple à cette haute fonction, puisse demander à tous, dans des temps de crise grave, d’aller au dialogue et au consensus pour retrouver la paix dont chaque nation a besoin pour continuer à vivre, à travailler, à se développer. Le Sénégal est sa mission. Il est le toit de la maison et aucune maison ne peut être habitée sans toit. D’ailleurs, ce n’est pas sortir des limites constitutionnelles que de demander la paix, pour que justement cette Constitution puisse vivre et non disparaître dans le chaos. La paix est notre mosquée. Notre cathédrale. Notre bois sacré. Elle rassure, guérit, protège, fait espérer.

Il arrive aussi un temps où quand les « chiens aboient, la « caravane » ne passe plus. Alors s’impose à tous, le temps forcé de la responsabilité, du dialogue, de l’apaisement: le pouvoir, l’opposition, le peuple. Et c’est le Président, garant de la liberté individuelle et de la liberté des biens, garant de l’indépendance des institutions, garant de notre souveraineté, qui, le premier, doit dicter la plus noble des conduites à tenir.

Je crois profondément à la capacité de notre pays, dont en premier lieu celle de Monsieur le Président de la République, de nous sortir de ce malaise qui a pris le Sénégal en otage. Ce pays, au regard des témoignages internationaux, des institutions, des chancelleries et des amis du Sénégal, ne ressemble pas à ce qui lui arrive. Ce visage n’est pas le nôtre. Effaçons-le bien vite de la vitrine du monde!

Nul n’ignore le leadership que celui à qui nous avons confié le destin de notre pays, a, petit à petit, bâti en Afrique et hors de notre continent. Demain, il devra assumer les hautes fonctions de Président en exercice de l’Union Africaine. On lui prédit demain, après son mandat présidentiel, de tenir toutes les cartes pour diriger l’Organisation des Nations Unies. Alors, il est temps de lever la tête et de précéder l’avenir. Nous ne pouvons que lui souhaiter de grandir davantage le Sénégal et l’Afrique en quittant un jour ses fonctions.

Alors, Monsieur le président de la République, avec respect, montez et montez vite au sommet de la montagne. Libérez votre pays de ce nœud nauséabond qui ne correspond pas et qui ne peut pas correspondre à l’encens qui a, depuis bien longtemps, tenu notre pays en érection , pour ne retenir rien d’autre que la force de la métaphore ! Vous avez déjà beaucoup, beaucoup bâti.

L’horloge tourne. Agissez donc, agissez pour que tous les minarets, toutes les cloches, tous les temples, tous les bois sacrés : bolongs et pangols, crient leur joie. Cela est encore possible en ce temps de doute. Nous voulons y croire. C’est notre droit, même si d’aucuns se rient de notre naïveté. Ma famille et mes amis m’ont supplié de ne pas me mêler à ces douloureux évènements en cours. De ne point écrire une seule ligne. C’est mon cœur qui refuse, pas ma raison. Qu’ils me pardonnent. L’on dit que le poète ne peut que rêver. Mais sachez que rêver, c’est vouloir autre chose que le présent ! N’est-ce pas d’ailleurs un poète qui a bâti les fondements modernes de l’État du Sénégal ? C’est cet héritage qu’il importe aujourd’hui de sauver, tous ensemble, avec vous, Monsieur le Président.

Prêtons une oreille attentive à ce peuple de paix et d’entente ! Ce peuple qui veut éteindre le feu, apaiser les haines, soulager les cœurs, taire les cris de guerre ! Il faut pardonner, se dépasser, rebattre les cartes, grandir, donner l’exemple. Que personne ne prête une toge  à la justice! Celle que la conscience et le serment l’habillent, est la plus belle. Qu’elle la porte ! Ne rabaissons pas et n’humilions pas l’État. ! Mais que l’État ne rabaisse pas et n’humilie pas non plus ses enfants ! Nous sommes tous du même taillis. Le Sénégal est un et doit rester un. Nous savons - l’histoire et les actes posés aidant -, qui est qui et que peut faire qui. Il arrive seulement un moment - et ce jour est arrivé -, où nous sommes condamnés à nous accepter ensemble, à taire tout orgueil et toute vanité, à défaire les barbelés qui séparent les riches des miséreux, et à nous jeter dans les bras les uns et des autres pour une seule et unique cause : le Sénégal.

Sachons également écouter notre espace spirituel, nos guides spirituels ! Revisitons la bonté et la grandeur du prophète Mohamed ! Sachons écouter la voix pacifique, pleine de générosité, d’humilité et de sacrifice de Jésus ! Si le temporel ouvre sa maison et ses bras au spirituel, il n’y aura que des rossignols à la place des aigles et des vautours. Nous devons y arriver.

En ce moment douloureux et glacial que connait  mon pays, ce pays tant aimé, tant chéri, tant chanté de par le monde depuis l’enfant de Joal, si je vous dis que ce pays ne brûlera pas, je n’aurais pas menti. S’il brûlait, c’est la vérité qui se sera alors trompée.

J’aime la jeunesse sénégalaise. Je ne l’aime pas de loin. Je l’aime de près. Je l’ai vue à l’œuvre dans la conquête littéraire créatrice. Je l’ai vue dans les banlieues dakaroises et les régions du Sénégal. Je l’ai vue dans les champs semer, récolter. Je l’ai vue dans les cimetières toiletter les tombes. Une jeunesse puissante, sans un sou, mais bandée, teigneuse, orgueilleuse, aimante, loyale, généreuse, prête à tout pour la paix et le rayonnement de son pays et de son leadership en Afrique. Cette jeunesse-là est un trésor. Nous lui devons respect et considération. Il est temps que nous l’écoutions et que nous partagions tout avec elle, même jusqu’à  notre détriment.

Je prie. Prions pour que  chacun donne le meilleur ! Que Monsieur le président de la République nous rejoigne vite, en sachant qu’il est la première voix de ce peuple, de ce pays. Rien n’est perdu, si nous nous respectons les uns les autre, si nous respectons  la « fonction » de chacune, chacun. Si ensemble nous protégeons notre État, nos institutions. Si ensemble nous combattons le mensonge, la division, les ruses, la corruption, l’aveugle partialité, l’ivresse de l’or. Soyons  tous ensemble là où  se trouve le respect de notre pays.

Que Dieu garde chaque Sénégalaise, chaque Sénégalais ! Que Dieu garde le Sénégal ! Qu’IL inspire son Chef ! Puisse la lumière de nos saints depuis Touba, Tivaoune, Madina Baye, Yoff-Layène, Ndiassane, Nimzat, éclairer notre route et lever l’amour, le pardon et la raison dans le cœur de celles et de ceux qui ont choisi le chemin difficile mais noble de la  politique.

Depuis l’aube des temps, c’est la politique, c’est à dire la gouvernance de la cité, qui impose son ordre et ses lois. Des institutions nées de la leçon des conflits et des guerres, ont érigé des barrières pour protéger la liberté des citoyens et leur octroyer des droits. Un étrange mot est apparu plus tard : la démocratie. Ce mot portait la guérison contre la dictature des rois et des princes. Ce mot portait une nouvelle humanité, une nouvelle espérance pour notre civilisation et notre État de droit. Cette démocratie n’a pas toujours été une femme partout heureuse, respectée et protégée. Mais elle reste, dans son idéal rêvé, cette belle femme dont il est difficile de ne pas être insensible à la beauté, la paix et l’équilibre qu’elle appelle, inspire et exige au nom de l’humaine condition. Ce n’est pas un hasard si la démocratie est au féminin. Alors, écoutons-là, servons-là pour asseoir un vivre ensemble plus acceptable, plus commode, plus conforme à ce qui caractérise l’homme : un être de raison et de partage !

Le Sénégal vivra. Il vivra ce pays. Ce drame d’aujourd’hui laissera des marques dans notre livre commun d’histoire. Mais si personne n’écrit ce livre à notre place, s’il n’existe ni vainqueurs ni vaincus, alors ce livre pourrait tout atténuer et devenir moins un livre sombre et douloureux, mais un livre qui aura fait grandir le Sénégal et dont les noms des acteurs, tous les acteurs, ne fera pas honte, demain, à nos enfants. La pluie qui soulage de la chaleur et féconde les champs de labour, s’accompagne toujours d’un ciel nuageux et sombre. Et puis apparaît le soleil !

Si un mot, un seul dans cet humble et éphémère plaidoyer, a pu blesser ou faire douter un seul de mes compatriotes, je leur dis, avec respect : pardonnez à un cœur de poète qui s’égare toujours mais qui toujours tente de rejoindre le sommet de la montagne, pour « enfin commencer à monter ». Là est la quête incessante et jamais finie de la connaissance, de la sagesse.

Un ami sagace m’a fait sourire, même si ce n’est pas le temps des sourires. Il me dit ceci : « Le Sénégal a évolué, grandi. Dakar n’est plus Dakar, mais « Ndakarou. Cela ne veut plus dire la même chose. Personne ne se réveille plus avant l’autre. Tout le monde sait. Il n y a plus d’analphabètes dans le noir total. Alors, attention ! ».

Monsieur le Président, le meilleur investissement économique de notre civilisation est l’investissement sur la jeunesse. Bien sûr, vous ne l’avez jamais lâchée ! Vous avez comme symbole, dans votre parti, un cheval. Si c’est surtout un pur sang. C’est une bête noble. Faites la davantage galoper, galoper, galoper et gardez-lui sa noblesse. Maintenant votre peuple vous écoute. Il vous attend. Vous savez qu’il a un grand cœur et qu’il sait être invincible. Vous n’êtes pas un arbre sans fruit. Il ne peut pas être déçu. Le reste, tout le reste, demain, appartient à Dieu et au magnifique peuple sénégalais.

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Amadou Lamine Sall - poète - Lauréat des Grands Prix de l’Académie française