Poème. LE PORT DE NDAYANE

Publié le 07/06/2021
Amadou Lamine Sall

A la mémoire de notre ami Michel Pellegrin, mort le 2 juin 2021, au combat,  sur les chemins du refus du port, pour sauver le Dialaw. En nous devançant, il n’aura pas vu s’installer la pierreuse sécheresse de nos cœurs et notre propre mort à venir face au « porc «  de Ndayane-Toubab Dialaw.



LE PORT DE NDAYANE :

AVANT, ICI, DIEU VENAIT PRIER


Ici était la mer

ici jouaient les baleines blanches

ici les poissons venaient multiples et métis s’ébattre et danser avec le soleil et même le soleil ici s’apprête à partir la lune rouge et rose aussi

nous sommes tous ici des partants un port gris et sale arrive

un port de la mort chausse ses godillots aucune herbe ne poussera plus les nids des mouettes seront écrabouillés les taillis des pintades tamarins brûlés

les serpents verts et or seront noirs comme le gasoil

les arbres seront amputés jusque dans leurs racines centenaires

les génies des baobabs s’enfuiront sous le roulis de 1200 camions/jour la vapeur des trains et l’acier des rails

ici ne se posera plus les colibris que j’aimais tant

mon grenier à ciel ouvert sera fermé aux oiseaux migratoires

nous prenions le petit déjeuner ensemble et mon pain était le leur

Ici Dieu avait mis Son lit étalé Sa natte de laine

soyeuse et de parfum  de Médine

le prince a décidé et Dieu a fait semblant de ranger Son Chapelet mais la nuit n’est pas encore tombée et le prince n’a pas encore tiré la porte de la muraille nauséabonde

Ici était le chant de l’oiseau bleu ici vivaient les fleurs de toutes races

ici paradaient les chèvres et les veaux rouges et or

ici les étoiles éclairaient nos livres à minuit et les singes têtus venaient tourner les pages avec nous

ici l’esprit s’apaisait et le cœur battait au gré des vents frais et mousseux

ici le sommeil est moelleux comme une soupe de jeune veau ici la nuit parle à la nuit et le jour qui se lève n’est pas un camion d’ordure qui hurle et qui pue

ici le silence est profond comme la mer sans houle et sans vague ici les arbres devisent ils nous parlent nous rafraîchissent on les entend pousser la nuit et ils chantent ils chantent ici on entend les pétales des bougainvilliers s’ouvrir dans le vent ici le paradis a bâti ses maisons sans béton et sans fer les plantes y poussent sans permission et vous offre un toit tout près les baleines s’attablent au large et leurs enfants naissent à Ndayane et viennent jouer dans la lagune droit sous

 

le regard d’Acogny et le sourire paisible d’Helmut et Didier qui prie prie

Germaine danse dans le crépuscule et la lune feint de se lever elle danse et la lune fascinée retarde la tombée de la nuit la lune s’est tue car Germaine danse le crépuscule

ce coin de terre et de ciel n’est pas un champ de métal et de pétrole ce coin de terre n’est pas pour des paquebots de poissons pourris ici l’air est rempli de crottes des vaches du parfum des citronniers des hanches colorées des papayers

des cheveux rouge-sang des flamboyants en fleurs de noce

ce coin de terre n’est pas une cité de containers et de barbelés ce coin de terre est pour vivre et non pour mourir Macky Sall le sait et son épée prendra racine dans son fourreau

Et ce prince qui de son compas a laissé tracer le fond des gouffres est un prince aimé

peut-il alors fusiller les rouge-gorge les blancs pélicans égorger les veaux aux yeux de lait

dépecer les singes de l’aube qui

viennent boire dans les petits ruisseaux du Dialaw

non ce prince ne brûlera pas la terre des ancêtres

il ne souillera pas la légende belle du peuple Lébou

il ne laissera pas les bulldozers rugir comme un

troupeau de lions affamés déferlant sur ses brebis son peuple

Ce Président ne mangera pas les graines des paysans il ne fera pas sombrer les pirogues des hommes de la mer il ne brisera pas le rêve des semeurs

il ne recouvrira pas les champs de mil et d’arachide de goudron et de rails

des maraîchers il ne fera pas des mendiants aux feux rouges de Dakar des braves femmes de Ndayane et de Toubab Dialaw il ne remplira pas de sable et de boue leur marmite à midi et

n’assoiffera leurs enfants sans lait et sans pain

 

Ce prince ne sera pas ce prince là

nous avons choisi de l’aimer car le peuple l’a aimé et choisi

nous avons choisi de ne jamais haïr et jamais le doigt sur une gâchette nous avons choisi le respect parce que la tâche est

d’altitude pour le prince et que la politique est un mal nécessaire et ce prince n’a jamais caché au poète la ligne de ses paumes la langue de son affection

il a donné des pages blanches au poète et

habillé d’un manteau de satin son rêve de

ramener les esclaves d’ébène de Memphis à Gorée

dans le cœur du grand pays noir à l’ombre de la Nubie

oui ce prince se réveillera avant le jour fatidique

il nous embrassera le front pour que nous ayons moins froids il remontera l’horloge enneigée de nos espoirs et coupera la main des fonctionnaires brigands au ventre de cargo

De grâce

ce n’est pas dire oui à tous les décrets du prince

en psalmodiant que Macky Sall ne sera pas un bourreau mais l’espoir et l’affection du poète lui sont servis

et la table est d’honneur tant pis pour ceux auront failli il a le sang bleu des messies

il a la bouche polie et le cœur battant même si l’aigle dort dans ses yeux l’aigle ne quitte jamais la montagne des princes

car la politique se nourrit  de l’œil et du bec de fer de l’aigle royal

elle se nourrit de l’épée quand le jour ne veut plus que la nuit tombe comme l’aigle tisse haut son nid le prince suspend haut son trône mais si demain nous nous trompions

et que le prince laissait aux bandits des terres leur ruse et leur boulimie que personne ne nous montre du doigt

que personne ne nous raille

nous ne nous serons pas trompés sur notre Président c’est la vérité qui se sera alors trompée

et nous aurons déjà pris le chemin de la tombe meurtris et

tous nos livres dispersés au vent pourri dans un port pourri

dans la marée haute et fétide des champs et silos de containers

jadis jardins de maïs de choux de salade de concombre et de miel

 

Celui qui a dit que le port de Ndayane est

un port du bonheur celui-ci a menti

ce port n’est pas un port c’est un enfer que

l’on nous promet de climatiser et il ne reste plus

que des bouts de chandelle des gravures d’allumettes

des bougies en photos Kodac longtemps éteintes longtemps jaunies… Il n y aura pas d’alizé pour alléger le feu de notre enfer de port…

Mais si la République devait vaincre

il faut la laisser vaincre

elle seule peut gagner sans vaincre

elle seule peut enterrer sans tombeau

elle a ses cimetières de gloire et ses cimetières d’honneur nous aurons choisi l’honneur à la place de la gloire nous donnons tout à la République tout car nous sommes ses enfants

ici on choisit ses parents même s’ils vous mettent sur les routes de l’exil et l’on nous a appris à nous taire devant la République ne nous a t-elle pas appris l’alphabet pour lever le poing et l’honorer écrire des chants parler comme les livres ?

Et le port de Ndayane Toubab Dialaw un jour très loin dans le temps assis sur ses grosses et interminables fesses

ne sera rien d’autre qu’un vaste cimetière de containers et de métal sur 1200 hectares de terre volée arrachée au nom de la République et des pêcheurs laissés à jamais à quai la mer confisquée et des paysans et maraîchers à jamais en exil leur terre clôturée mer et terre conquises bradées violées violentées impayées et le port de Ndayane sera alors devenu  ce « porc » tant redouté il sera devenu parmi les bêtes immondes

le plus cruel et le plus infâme des monstres

un lieu de deuil que le chant des hommes en larmes et de la terre blessée hantera pour toujours….

 

Un Président ne peut pas être normal…

Mais quel prince voudra porter cette montagne de deuil….

Et tant pis pour le temps des poètes

les cimetières auront emporté leurs corps mais non leurs rêves ils auront ainsi laissé au vent et aux

étoiles leur nom et leur si fragile espérance …