Le poète s’invente toujours !
Folie, délire de la prêtresse parmi l’écume blonde des sacrifices vermeils. Langue déchirée, langue écartelée, bondissant hors les murs, hors les remparts, ivre d’elle-même et du sang de la terre, dans la bave et la sueur, c’est l’instant innommable de la fusion cosmique.
Toute Raison est parjure, toute Forme impie qui ne s’abolisse dans le tumulte de la chaire. Cours torrentueux. Cette langue sourd comme de quelque lieu -illo loco-, irréductible à notre élémentaire mesure.
L’espérance têtue, la foi opiniâtre. Rien ne distrait l’ardeur de ce pèlerin du Beau : Croisée de l’amour que ne vainc nul déclin, ardent et intrépide, porté par un flux obscur, celui-là même du don pur, sûr, mûr de soi. Cette langue folle, chevauchée de mille soleils, cette langue habitée où l’on entend deviser de hautes ombres au rythme primordial des tam-tams infernaux. Le poète saute, il bondit, épileptique; il entre dans de véritables folies jetant le trouble jusque dans le marbre le plus froid. Dévalant les digues, contournant les ravins, hymne entêté violence cadencée, la poésie de Lamine s’en va, hurlant des soleils au souffle fécond.
On est, en écoutant l’écriture du poète, frappé par la beauté sauvage de cette cascade de sentiments multiples et toujours identiques, le charme rare et le beau terrible des Chutes du Niagara.
Un révolté, un rebelle !
Amadou lamine Sall est en ceci rebelle qu’il prône, dans un monde hanté par l’efficacité et chevillé au vertige de la seule promotion de soi, le triomphe du Désir et du Cœur. Louise Labe écrit Flaubert, n’a pas le sens du pêché : elle a l’innocence du cœur et de la chair… Tel est lamine. Et je ne parle que du poète car l’homme est plus lourd - grave=gravis=lourd –
L’homme te l’œuvre : l’écriture comme sacerdoce !
La hantise de la déréliction, l’horreur quasi physique de la Chute procurent son souffle au poète et le tiennent en haleine, dans une sorte de tension sauvage qui est à l’œuvre ce que la virilité est au mâle, c’est à dire sa force de pénétration et sa puissance démiurgique, sa vérité et sa beauté. C’est ce qui imprime sa fougue à l’œuvre de Amadou lamine Sall et lui confère cette superbe des Chutes du Niagara ou l’emphase sans fard des mers agitées.
La peur panique du déclin de l’homme, la ruine de l’humain, voilà la névrose du poète, voilà l’angoisse qui se fait chant et charme à conjurer la Chute, la plaie qui s’ouvre et sourd en un sang lourd, rythmé de la cadence primordiale, du mouvement même de l’être, la plaie du monde, la lèpre de nos entrailles qui se fait poème.
Voilà ce qu’incarne l’écriture de Amadou Lamine Sall !
Mais, enfin, ce n’était pas tel notre objet.
Lamine chante le chaos.
Le poète chante le chaos qui est vie - en puissance -. Il chante le chaos d’où jaillira le verbe qui est Femme, qui est Vie.
Ce qui est à l’œuvre dans l’écriture de amadou lamine Sall, ressortit moins à une prétention gnomique ou didactique – tel chez la plupart de ses contemporains – qu’à l’inscription dans l’ordre de la vie et de l’être, comme mode d’accès, mode unique d’accès à la plénitude, au-delà des morts, des ruptures et ces déchirures.
L’amour ici et ailleurs, l’amour dedans comme dehors, l’amour à toutes les échelles de l’homme. Toujours horizontal et jamais désincarné, cet amour-là dit un existentialisme païen qui trahit, à l’envi, le poète en son fond animiste, lui, l’enfant peul du terroir où fume toujours le sang des fétiches parmi la rumeur confuse des Pangols, à l’heure où les fièvres de la terre sont tombées et que, seul des Présences accordées contre la Nuit, flamboie le regard et palpite le cœur. Ce terroir natal, entre le Sine et le Rip, que rythme encore la fièvre des gymniques, parmi l’élégance des jeunes filles, l’écume fauve des lutteurs et les fleurs chaudes de la passion que leur réunissaient les Taxuraankat.
Aimer, malgré tout, aimer ou périr. Ce n’est pas là une sentence ni quelque apophtegme, car la poésie de Amadou Lamine Sall n ‘est guère gnomique. Rien ne le suggère, ni dans sa matière, ni dans son esthétique. Au contraire un naturel primitif l’incline à la confidence, à cette confidence prude de l’homme simple, étranger aux Vérités, aux grandes Idées. Loin du dogme. Il se laisse dire. Ni Idée, ni anecdote, ni érudition ou savante élaboration, mais une élégance nue, touchante de maladresse et de vérité.
La chair devient transparente, tendrement violente, tristement voluptueuse, dans l’éclat de la fureur et de la grâce. Naïveté. La permanence comme un des beaux Arts. La voilà donc la belle révolte : affirmer la permanence dans la foi, incarner le refus de la désespérance et consacrer le triomphe de l’Amour, quand le monde n’est plus que le choc des armes.
L’Enfer c’est de ne plus chanter, l’Enfer c’est ce chant qui se meurt dans mon sein. Mais tant qu’il y aura des hommes, tant qu’il y aura des femmes, tant que les aurores accoucheront d’une mante…
Année 2008.
Professeur Yousouf BA - Ancien conseiller du Président Wade
Rappelé à Dieu et repose à Thiès.