Ceci ne sera pas une fiction, mais une réalité, demain. La paix, rien que la paix et l’élégance.
D’abord avouer que nous écrivons ici cette réflexion pour des femmes et des hommes qui nous liront « aujourd’hui, vers 2030 » ! La vérité est que nous devons oser forcer le pas, décongeler la structuration et le système jugés -vrai ou faux- inachevés, ambivalents, méfiants, vétustes, lépreux, arqués, conflictuels et opaques de nos institutions. C’est d’une nouvelle respiration qu’il s’agirait pour guérir la bronchite et l’asthme de nos institutions !
La cérémonie officielle de passation de service vient, ce jour, de s’achever au palais présidentiel. Macky Sall sort sur le perron et descend les escaliers. Deux paons que la garde présidentielle qui rend les honneurs n’a pas vu traverser leur rang, se dandinent vers l’ancien Président. Un signe d’attachement ? Le maitre de maison est-il souvent descendu leur parler, les regarder ? Nul ne sait. Mais les paons le connaissent. Depuis Sédar, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, les paons sont là. Ils seront encore là, même si personne ne les regarde. Eux, ils regardent. Ils savent. Ils sont une mémoire, des témoins. Et puis, les jardins de derrière comme de l’avant du palais sont si « arbrés », ombragés, que l’on aurait pu y tenir des conseils des ministres et prendre de petits déjeuners, pour entrer en harmonie paisible avec la nature, la mer, les oiseaux, le vent, la lumière. La terrasse en haut du palais présidentiel qui donne sur Gorée, avec un panorama fastueux qui dépasse celui des îles de Tahiti, est également un endroit d’une beauté stupéfiante.
Dehors, devant les grilles du palais, la foule est délirante. Le nom du Président sortant résonne plus que celui du nouvel élu qui prendra place dans quelques minutes. Macky Sall, serein, salue et remercie. La cérémonie se voulait sobre mais elle ne le fut pas. Le protocole laisse faire. Chacune, chacun, tient à serrer la main du Président. On voit Macky Sall tenir la main du nouveau Chef de l’État. Geste fort et émouvant. La Covid19 est bien loin. L’ancien maître des lieux, on se souvient, lui avait mené la vie dure devant des citoyens toujours rebelles et laxistes. Nous avons la chance, se moque-t-on chez les toubabs, que les nègres soient blindés !
La portière de la voiture s’ouvrit pour inviter l’ancien Président à embarquer. Surprise : il demanda au chauffeur de lui céder sa place. Il prit lui-même le volant. La voiture eut du mal à se faufiler pour gagner l’avenue de la République. Elle disparut à l’horizon. Sans sirènes ni motards. Les grilles du palais se refermèrent. La foule, petit à petit, se retira. Une page venait de se fermer. Ce qui en restera relèvera de ce que l’ancien occupant du palais aura laissé à son peuple comme actes puissants qui braveront le temps et chanteront son nom. Nous avons toujours rêvé voir les statues des différents Présidents trôner face au palais, dans le petit square qui lui fait face.
« (…) l’intérêt de l’action, est dans ce qu’on fait et non dans ce qu’on dit ». Chaque mot d’un Président compte souvent plus que la brique posée. La presse en est friand et c’est elle qui lui donne sa résonnance, son ampleur, même si cette parole est insignifiante. L’exemple du débat incessant sur le 3ème mandat aura pourri la vie politique et masqué les réalisations infrastructurelles saisissantes du Président Macky Sall. Elles seront plus visibles et encore plus appréciées maintenant qu’il a quitté le pouvoir. Nous ne les citerons pas ici, car elles parleront tous les jours aux Sénégalais. Elles sont phénoménales au regard du retard du Sénégal en matière d’infrastructures de développement, particulièrement les routes, les pistes, les ponts, le rail, les aéroports secondaires, les hôpitaux, les stades de football, l’électrification, l’accélération réussie des plateformes solaires, l’édification de la nouvelle ville de Diamniadio qu’il faudra continuer à bâtir et non à abandonner parce que c’était Macky.
Et puis le Président sortant aura laissé beaucoup de pétrole et beaucoup de gaz. C’est son cadeau au peuple sénégalais et ce cadeau ne s’oublie pas. Gérons bien cet héritage pétrolier et gazeux si précieux. Gérons-le pour les générations futures, d’abord. Gérons-le pour rendre le peuple sénégalais plus nanti, moins souffrant, moins peureux de l’avenir, ensuite.
Il s’y ajoute le nec plus extra, la surprise culturelle et architecturale du 21ème siècle du Président Macky Sall : la réalisation et l’inauguration du Mémorial de Gorée. Ce bijou dédié à la mémoire des millions de nos déportés par la traite transatlantique trône sur la corniche ouest de Dakar. Il fait face aux Amériques à travers l’océan et salue désormais et pour l’éternité, sur terre et en mer, les visiteurs et voyageurs de tous les horizons. Le monde entier afflue à Dakar pour le visiter. Macky Sall nous a laissés le plus beau et le plus grand phare de la mémoire qui ne s’éteindra jamais. Ne serait-ce que pour ce symbole, il mérite notre gratitude.
Ce qui aura moins réussi, dit-on -vrai ou faux-, moins visible, plus polémique : le secteur agricole, le système éducatif, le sport hormis le football, le tourisme. Il s’y ajoute un grand défi que le Président sortant avait lancé : les pôles de développement territorial pour désenclaver Dakar essoufflé, sortir de l’étau de la concentration, créer des zones de développement régional et départemental afin de capturer des emplois sur place pour les jeunes et freiner l’exode meurtrier vers la capitale. L’agriculture, la pêche, le maraîchage, l’artisanat, la formation professionnelle, les PME, les arts, l’architecture, se devaient d’être les moteurs des pôles de développement territorial pour fixer les jeunes.
Ce qui aurait également manqué, note-t-on -vrai ou faux-, c’est que le Président sortant a défini des actions et des priorités majeures et retentissantes de développement, mais qui ont souvent manqué de suivi et surtout d’évaluation. L’évaluation semble constituer un mal africain. Comme le plan et la prospective ! Évaluation et constat de résultat mesurent les succès et les échecs qui constituent le meilleur baromètre de tout effort de développement !
Mais, dit-on, gouverner est difficile, surtout en Afrique ! Certes, on ne peut tout faire, encore moins tout réussir. Mais faire de la politique ne doit pas signifier gouverner ses propres intérêts avant ceux de la cité. Ce que la critique retient des hommes politiques n’est pas un tort, quand la réalité de l’exercice du pouvoir démontre le moi-moi, le flagrant délice, le déficit culturel, la médiocrité rance, le laisser-aller et le laisser-faire, la lapidation des fonds publics. Qui disait que « même Dieu ne comprend pas pourquoi nous sommes pauvres ? »
Macky Sall, lui, aura cependant fait son job. Il a beaucoup œuvré, beaucoup travaillé. A son successeur de prendre le relais, de consolider les considérables acquis, de donner à sa gouvernance une marque qui ne sera d’aucun des quatre Présidents avant lui. Le constat aujourd’hui, depuis l’indépendance, est que chaque Président a construit, bâti, inauguré, baptisé, selon sa vision et ses priorités de développement. Cependant, tout ce qui pouvait être construit, bâti, inauguré, baptisé, l’a été, sauf trois infrastructures, ou plutôt trois chantiers de taille jamais achevés : la fin de la pauvreté. La fin du chômage. La préservation et la défense de la propriété privée et du foncier contre la superpuissance et le bon vouloir abusif et cruel de l’État qui exproprie, met la main sur tout au nom du bien public. Des hyènes et des prédateurs, une mafia au-dessus du Président, trompe, gouverne. Ils ont pris toutes les terres et même les morts n’ont plus de terre où reposer.
La réalité, par ailleurs, est que le système constitutionnel qui régente et gouverne nos institutions en Afrique donnent trop de pouvoirs au président de la République. Sans véritable contre-pouvoir. Nous en avons des exemples sidérants ! Tout tourne autour du Prince. Tout relève de sa volonté et de son bon vouloir. Tout dépend de lui. Il appelle au référendum. Il fait voter des lois. Il baptise des infrastructures du nom de celle où de celui qu’il choisit selon sa volonté. Il nomme. Il défait. Il exproprie. Il dédommage. Il désaffecte des terres. Il affecte des terres. Il punit. Il pardonne. Il gracie. Il récompense. Il décore. Son arbitrage est sans recours. D’où il est accusé et seul de tous les maux ! Il est responsable et seul de tous les échecs. Le ciel et la terre reposent sur ses épaules. Comment cela peut-il être possible dans une démocratie moderne ? Comment une République peut-elle encore être configurée de la sorte au 21ème siècle avec autant de pouvoirs laissés à un seul homme ?
Chez nous en Afrique, le président de la République n’est pas que roi : il arrive qu’il soit un dieu qui, au-delà de l’impensable, peut même donner la mort. La seule revanche est que ce qu’un Président baptise peut-être débaptisé par son successeur. Ce qu’il a exproprié peut-être rendu, même si le mal est déjà fait. Et les Présidents sortants nous disent toujours après, quand le tort est excessif, qu’ils ne savaient pas. Qu’ils ont été trompés. Mais combien de fois ont-ils été trompés par leurs proches qui trient et ôtent de leur lecture des correspondances de leurs compatriotes qui appellent leur Président au secours ? Combien de combien de lettres de citoyens n’arrivent jamais au Président ? Sans compter une certaine terrifiante administration qui prend le dessus sur celle admirable et travailleuse, et qui se révèle véreuse, corrompue, assassine, gluante, presque invincible, qui creuse chaque jour des tombes aux citoyens sans que le Président le sache ? Si des brigades en civil infiltraient l’Administration, nous aurions assez nettoyé les écuries d’Augias ! Une honte sans nom qui déshonore et salit le travail titanesque du Président !
Poursuivons le reportage au palais : Macky Sall a quitté le pouvoir. Celle ou celui qui vient de franchir les marches du palais comme nouveau Chef d’État, s’installe. Le peuple sénégalais en a décidé ainsi. Le nouvel arrivant se rendra compte bientôt et vite, malgré la climatisation jusque dans les toilettes du palais, de la réalité de la maison royale. Le palais présidentiel peut vite devenir un asile de fou ! Élu autour d’une coalition, il fera d’abord face à cette même coalition où chacun attend de mesurer sa tranche du gâteau. C’est le premier combat du nouveau Chef. Son premier défi. Son premier manque de sommeil. Ses premiers cheveux blancs. Le démon aime les coalitions ! La vérité d’une coalition, c’est ce que chacun cache !
Les Chefs, quelle que soit la coalition qui les a portés au pouvoir, souhaitent toujours choisir seul, par prudence, leur Premier ministre s’ils en veulent un, leurs ministres de l’Économie et des Finances, de l’Intérieur, de la Défense, de la Justice. Ces postes sont à eux. Souverains et indiscutables. Non négociables. Le reste, « à la bonheur » ! Cela peut se négocier avec la coalition, d’autant que chacun souhaite tout simplement, dit-on, être servi avec une prairie assez gazonnée en FCFA !
Très vite, le nouveau Chef d’État comme les membres de sa coalition se rendent compte que les choses ne se passent pas toujours comme prévu. La nouvelle opposition s’organise en attendant de renforcer ses rangs avec ceux que le Président a déçus, en leur servant des miettes du gâteau. Plus tard tombent les décrets rythmant les nominations du nouveau Grand Chef : postes de PDG, de DG - ces messieurs, dit-on, sont souvent des planches à billets qui se promènent impunément-, de présidents de Conseil d’Administration juteux, d’Ambassadeurs plénipotentiaires nommés hors corporation, de ministres conseillers méritants ou bidons, de conseillers spéciaux clinquants qui ne verront personne qui conseiller, des chargés de mission qui attendront en vain une mission qui ne viendra jamais.
Le peuple attend de savoir ce qui aura véritablement changé après Macky Sall. Sera-t-il surpassé par un successeur plus original, plus étonnant, plus réformateur, plus audacieux ? Quelles seront ses premières réformes de taille ? S’accommodera-t-il ou non d’un Premier ministre, d’un gouvernement enfin plus restreint, plus groupé, dans le respect de la parité ? Posera-t-il de nouveaux jalons en modifiant la Constitution pour un mandat unique court ou plus long ? Proposera-t-il des réformes révolutionnaires en réduisant ses énormes et propres pouvoirs, tels que vécus depuis l’indépendance dans un régime ventru et super présidentiel ? Le pouvoir judiciaire et ses grandes institutions, vont-ils enfin connaitre une considérable mutation dans leur indépendance, leurs rôles et missions ? L’Assemblée nationale souvent tant décriée, sera-t-elle plus décisive, mieux habitée, mieux vêtue, moins scolarisée, plus savante, en sachant qu’elle ne pourrait cependant et en aucun cas, être appelée par quiconque à trahir le Chef de l’État qui en a obtenu la majorité pour pouvoir gouverner et conduire sans entrave sa politique de développement vendue et achetée au suffrage universel par le peuple sénégalais ?
Le Président ne sera-t-il plus le seul à détenir le pouvoir de réussir à modifier la Constitution par référendum ou des citoyens pourront-ils également posséder ce pouvoir dans des conditions bien définies, bien normées, moins contraignantes ? Pourquoi des citoyens n’auraient-ils pas enfin le pouvoir constitutionnel de proposer au même titre que le président de la République, une modification de leur Constitution par référendum et qui s’imposerait à tous les Présidents, pour ainsi imprimer à leur pays la marche qu’ils souhaitent ? Pourquoi le Président continuerait-il à être le seul à imposer à son peuple « sa » Constitution ?
Par ailleurs, ne serait-il pas temps de réfléchir si oui ou non, nous devrions supprimer les 300 partis politiques actuels que compte le Sénégal, dès lors que le fait est établi qu’aucun de ces partis et quel que soit leur poids, ne peut plus jamais parvenir seul, sans coalition avec d’autres partis, à accéder au pouvoir ? Il s’agirait alors de laisser de libres citoyens, toutes compétences confondues, aller au suffrage universel et à la conquête du pouvoir, selon des règles et des normes strictes établies qui feront d’elles-mêmes le tri ? Un Président vient toujours de quelque part et cela joue forcément sur sa manière d’être et de gouverner. Alors, serions-nous appelés à définir le type et le profil de Président que nous voulons pour le Sénégal ? Nous ne sommes pas sûrs qu’il importerait de franchir un tel pas !
Merci Monsieur le président de la République Macky Sall. Jouissez en paix de votre retraite et laissez le monde venir à vous, à votre âge encore fleuri, vous offrir une autre mission que celle que votre peuple a eue à vous confier, mais plus rayonnante encore au service de l’Afrique, de la communauté internationale. Que ce qui s’annonce demain, maintenant que vous avez achevé votre mission, soit encore et aussi beau que ce que le Sénégal vous avait confié ! Le plus grand mérite d’un Chef d’État, est d’avoir un avenir dans le passé !
Pour notre part, nous vous avons aimé pour votre touchante politesse, votre constant égard, votre mesure, même si l’homme politique en vous a révélé une impitoyable et redoutable adversité, une habileté glaciale, une féroce ruse, une patience lourdement armée, un flegme dévastateur, un choix de mutisme souvent déroutant. Cela vous sera pardonné - sauf par vos adversaires, sans doute -, car telle est, hélas, la survie dans l’arène et la jungle cruelles et impitoyables de la politique !
Bienvenue au nouveau Chef de l’État du Sénégal ! Que personne ne vous laisse croire que vous serez le meilleur des Présidents. Les meilleurs sont à venir, parce que nourris du succès et des échecs de ceux qui les avaient précédés. Le peuple qui vous a élu vous attend, Monsieur le Président. Votre jeunesse vous attend. Cependant, sachez que « la révolte désaltère » la jeunesse et la soif revient toujours. Fuyez le développement cosmétique et exhibitionniste. C’est une ruche qui bourdonne, mais elle est sans miel ! Évitez la politique de l’aspirine.
Ce que vous ferez de grand et de juste est inscrit dans votre seul cœur, à l’opposé de celui de votre majorité. Un Président « est plus sûr d’être craint que d’être aimé ». Puissent Dieu et le peuple sénégalais assouplir votre mission, sans jamais vous donner à devoir braver et humilier ceux qui s’opposeront à vous. Pour qu’un pouvoir soit noble et grand, il doit être humble et juste, s’il ne peut être équitable. Mais nous savons que même Dieu a ses propres élus, Lui Le Miséricordieux !
Amadou lamine Sall
Poète - Lauréat du Grand Prix de poésie International Tchicaya Utamsi d’Assilah