QUEL PEUPLE, QUELLES VALEURS, QUELLE OPPOSITION, QUEL PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE POUR LE SÉNÉGAL DE DEMAIN ?

Publié le 23/05/2022
Amadou Lamine Sall

Une conversation s’improvise, mercredi 18 mai 2022, depuis les États-Unis, avec un ami : « Que retiendra-t-on de Macky Sall dans 20 ans ? » - « Un homme d’une touchante éducation. Sensible à la pauvreté. Respectueux mais droit dans ses bottes. Il aura beaucoup fait pour un patrimoine religieux qui restera inoubliable. Jamais un homme d’État n’a autant bâti des maisons de Dieu ! Puisse-t-il inscrire avant ses successeurs, dans nos lois, un débat public télévisé entre les candidats à l’élection présidentielle. Puisse-t-il partir dans la paix, l’honneur, la noblesse de son sang, l’hommage de son travail de Sisyphe et regretter qu’il n’ait pu réviser à temps, pour l’histoire, une Constitution jamais égalée, verrouillée pour 50 ans, mais aujourd’hui encore clignotante. C’est un chef ferme, sec mais papal, habile et balsamique, méfiant, insulaire et anxieux, redoutable au combat, imprudent sur la réalité de l’étendue et de l’impact de ses pouvoirs présidentiels. Il aime aller jusqu’au fond des impasses et ne dit jamais avoir rebroussé chemin. Un imbattable bâtisseur qui aura du mal à être égalé. En revanche, il aura failli en frustrant les corps prestigieux de contrôle de l’État. Il a politisé davantage une administration que la 1ère alternance avait déjà abîmée. La Constitution doit un jour interdire à tout fonctionnaire dans ses fonctions de posséder la carte d’un parti, à moins de démissionner et d’être libre. Il a installé une impunité inacceptable, nauséabonde et ruineuse » - « Vous en dites des choses ! Oui, mais celui qui vient jeter un bout de bois dans ton feu où boue une marmite, doit pouvoir partager ton repas. Même Dieu a Ses amis » - « Oui, mais il n’est pas Dieu ! » - « Mais Dieu l’aime ! Vous semblez bien le connaitre. Vous venez de me parler avec émotion de sa vie, de son parcours depuis un appartement au quartier de Derklé… jusqu’au palais présidentiel. Finalement, ce n’est qu’un homme servi par Dieu avec ses qualités et ses défauts. Puis-je vous confier que j’ai pour lui une grande affection qui restera ? » - « C’est votre droit. Ce n’est pas pour rien que vous êtes un poète, mon cher Amadou. » - « J’ai choisi d’aimer et non de haïr. Aimer ajoute des vies à une vie. La politique n'a que des muscles. Pas un cœur » - « Certes, mais un président de la République n’est pas n’importe quel laboureur. Il gouverne ses semences et il gouverne ses récoltes, pluie ou sans pluie. Son champ n’est pas que de terre ! ».

A méditer, selon le palier de chacun.



Macky Sall appartient à une génération qui devait forcément être du côté des « grands pas » et non des « petits pas » en matière de renforcement et de consolidation de notre démocratie. Aucune démocratie n’est parfaite et ce qui a été acquis jusqu’ici, ne saurait être minoré ! Pour les infrastructures, il faudra se lever avant le tôt, pour l’égaler. Une démocratie ne se bâtit pas seule. Le peuple y a sa part. L’opposition y a sa part. Plus encore, les corps de justice. Ce sont ces derniers qui doivent battre tam-tam et ne pas laisser danser tout le monde.

 

Bien sûr que nous savons que c’est le Chef de l’État qui les nomme, conformément à nos lois. Mais certains parmi eux, nomment également le Chef de l’État, c’est-à-dire valident ou invalident sa candidature, son installation à la tête du pays. Chacun a besoin de l’autre.

Bien sûr que nous connaissons le combat de certains qui militent pour l’indépendance des corps de la justice par rapport au pouvoir exécutif. Chacun a sa vérité. Elle n’est pas une. Il peut même arriver que la vérité se trompe. Mais si chacun joue sa partition avec honneur, nous pouvons nous en sortir pour le meilleur ! Ce qui fait également peur en démocratie, est que la rue peut croire qu’elle peut également gouverner, juger. Cela s’appelle le désordre et le chaos. D’abord, tous ensemble, apprenons à respecter nos lois.

 

Macky Sall est le plus jeune des Présidents arrivés au pouvoir au Sénégal et il gouverne un pays de jeunes. Il devait, dit-on, porter des réformes jamais osées. On l’accuse, à tort ou à raison, de se comporte comme un ancien combattant, comme s’il tenait à ce que l’on sache que ce n’est pas un Président danseur de hip-hop. Que le pouvoir n’est pas Bercy! Le temps du pouvoir est inscrit dans l’adversité. Le respect des lois seules peut atténuer les violences. Le Président, dit-on, semble avoir du mal à tolérer les adversités mais adore plutôt les alliances. Alors, pour parer à toute surprise, il a vite appris à être un bon escrimeur. Il raffole, dit-on, de défaire et de détricoter les cordes pour prémunir toute pendaison. 

 

Il est soupçonné, à tort ou à raison, particulièrement par l’opposition, d’être un actionnaire de tous les coups fourrés en politique pour garder la main sur tout ce qui risquerait de déranger son exercice du pouvoir. Il prendrait plaisir à déstabiliser ses concurrents. C’est son côté fin gourmet et tueur politique. L’arène étant ce qu’elle est, qui le lui reprocherait ? Mais jusqu’où doit-il aller et jusqu’où doit-il s’arrêter ? Le politicien en lui ne semble pas s’en soucier ! Il est flegmatique et sourd des trois oreilles, quand il veut. Il n’est surtout pas dans l’émotionnel. Il est dans la décapitation ou il est décapité, pense-t-il. Mais ne faudrait-il pas aussi dire, au-delà de tout, que Macky Sall bosse et qu’il ne peut pas être soupçonné de faire semblant de bosser ? « Ce qu’il a bâti dans ce pays et qu’il continue de bâtir, dit avec humour un artiste libre, n'est pas pour l’amour et le seul plaisir de la belle Marième Faye Sall. Il s’agit d’élever tout un pays et de laisser un bilan imparable aux générations futures ». Chacun jugera. A la vérité, la démocratie est toujours une dictature pour un homme de pouvoir qui veut avoir les coudées franches et gouverne, bien allongé dans son palais, les volets clos. Mais c’est ainsi que se propage, à son insu, la drogue dure du pouvoir et l’esprit absolu de régner. Le pouvoir abime, sauf si on le domine au lieu d’être dominé par lui ! L’opposition est en soi une souveraineté sans sous.  Le pouvoir une souveraineté dorée. Les deux se rejoignent dans la même boutique, le même commerce, le même grossiste : le peuple. Tous les deux sont des vendeurs d’ombres qui ne ferment pas boutique, même la nuit tombée. Tous les deux sont des programmeurs d’illusions ! La politique vend-elle d’ailleurs réellement autre chose que cela ? On ne peut pas prétendre tout réussir.

 

 Un Président rêve d’obéissance, de tranquillité et de réussite. Une opposition rêve de conquête presque psychiatrique du pouvoir. Elle rêve même de libertés qu’elle se donne elle-même. Par ailleurs, souvent, ce que l’opposition reproche au président de la République est ce que le peuple attend de lui : la réussite ! 

 

Dans nos pays, un fait douloureux atteste d’une décadence douloureuse : « le verbe s’effondre ! Or le verbe, c’est l’homme. » Et cet homme est remplacé par la furie aveugle de l’argent, d’une réussite usurpée. La politique en est devenue le chemin le plus court et le plus doré. Le bien-être, le bien-vivre, l’élégance, l’écoute, la sérénité, l’humilité, la générosité, l’éloquence, la culture, l’éthique, sont sur la potence.  Il n’existe pas meilleur signe de décadence pour une société ! Le silence, le retrait ou la fuite des intellectuels face à une société répressive de l’esprit, atteste de la décomposition de nos pays. Mêmes les « intellectuels d’État » sont réprimés dans le système qu’ils ont choisi de servir ! « Penser », tout simplement, n’est plus permis ni tolérable, nous rappelait un grand homme politique sénégalais, parmi les derniers qui ouvrent encore chaque jour les pages d’un livre. C’est un attentat contre l’esprit ! L’envahissement sauvage du champ social et culturel par la politique, a tout pourri, rétréci les espaces de connaissances et de grandeur.

 

Et le peuple sénégalais, donc ? Nous avons plus de « consommateurs que de votants ». Chacun est capable de se battre le soir pour avoir son « fondé », bouillis de mil à 1OO francs CFA pièce, mais appelle à la révolution pour avoir une cuillerée de lait à y ajouter. C’est ainsi. Et c’est le droit le plus absolu de chacun, dit-on. C’est l’histoire du parent d’élève qui vient dire au maitre : « mon fils n’a pas mis un « s » à « poule ». Pour deux malheureuses poules, on peut, tout de même, lui pardonner la faute ». Pour dire combien gouverner est périlleux.  Ne rêvons pas. Le Sénégal ne sera plus le Sénégal des rois du Sine, du Djolof ou du Baol. Il ne sera plus le Sénégal de Lamine Gueye, Mamadou Dia, Senghor. Pas plus que celui des vénérés Serigne Touba et El Hadji Malick Sy. C’est fini. Tout a évolué. Les valeurs d’hier partent ou mutent. Il en restera très peu. Ce qui nous sauvera sans doute, ce seront nos religions. Elles portent une conscience. La foi sera toujours notre meilleure arme contre les « usines du rêve », de l’excès. Elle sera notre refuge. Le progrès, hélas, a un prix ! 

 

Sachons que le Sénégal a des frontières avec l’Europe, l’Asie, l’Amérique. Nous sommes dans le monde et non plus aux portes de la Mauritanie ou de la Guinée. Nous subirons toutes les influences sans pouvoir résister à toutes. A nous d’anticiper sur l’avenir de notre jeunesse. Elle est fragile et exposée. Il nous faudra plus que des ressources et des emplois pour la mettre à l’abri ! Le Sénégal gagne, pourtant. L’Afrique gagne. On la regarde désormais autrement et cela ne fait que commencer ! Nous rencontrons, échangeons au Sénégal avec nombre de jeunes. Nous n’avons pas vu de violence. Nous n’avons vu qu’un vide scolaire effrayant, handicapant, frustrant.  Résidant des HLM Grand Yoff, coin réputé chaud, depuis plus de quatre décennies, nous y vivons et parlons à une jeunesse polie, respectueuse, généreuse et très profondément ancrée dans l’islam.  La religion, la solidarité des Dahira, la préservent encore. Mais elle a besoin d’être soutenue. Elle veut se marier, fonder une famille. C’est cette jeunesse que je connais. Elle rassure. Mais l’autre jeunesse est là, adultes compris, celle terrifiante au regard des violences et meurtres insoupçonnés, villes et campagnes, que nous rapporte chaque jour notre inquiétante actualité nationale. 

 

Nous apprenons que le Président Macky Sall s’est prononcé sur les mandats en Afrique en regrettant qu’ils soient forcément limités.  Sur ce sujet, le Président Houphouët Boigny en avait donné la plus audacieuse des réponses.  Pour le sage de Yamoussoukro, le parti unique -devenu coalition à majorité présidentielle- était le creuset idéal de toute démocratie. C’était l’arbre à palabre de tout le village. Et il arrivait que les propos de la majorité infléchissent la décision du chef. Mais nous ne sommes plus un village ! Le monde a bien changé. L’Occident est arrivé. L’esclavage et la colonisation avec. Des cultures et pratiques millénaires se sont dissoutes sous le fouet, la décérébration, la mort.

 

 « Au bout du petit matin », nous nous sommes retrouvés entre les fers, la soumission, l’acculturation. Et le « Grand Blanc » nous a bouffés la cervelle. Seul l’Islam et ceux qui le portaient comme une torche pareille a un soleil imparable, résistèrent à la furie barbare des enfants de Socrate. Tels Bamba, Hadji Malick Sy. Où donc, en effet, avez-vous vu nos chers et grands guides religieux vivre avec des chemises- cravate, nœud-papillon, veste « blaser », godasse peau de chameau, jean, basket, et réciter Marx, Kant, Hegel, Platon ? Al Makhtoum le verdoyant aurait sans doute dit : « Si, et pourquoi pas ! » Ils ont plutôt le Coran et la Bible qui résument tout l’univers, toutes les pensées, toutes les philosophies apparues et à apparaitre demain ! Mais… ils ont leur smartphone… Ainsi va le confort du monde. Prendre l’avion et non plus le chameau, téléphoner et non envoyer des pigeons ou des cavaliers au-delà des mers et des déserts.

 

Le monde a changé et il changera encore de manière plus brutale et plus spectaculaire. La star sera de plus en plus le peuple, non le Président. Il n’est que grand figurant de son temps ! Voilà pourquoi les Présidents sont finalement seuls, souvent justement ou injustement vite oubliés. Les peuples sont péréennes.  Notre Constitution ne s’ouvre-t-elle pas par ces premiers mots : « Le peuple du Sénégal souverain » ? Suit ceci : « PROFONDÉMENT attaché à ses valeurs culturelles ». Cela, pas sûr pour tous ! Pas sûr que le Conseil Constitutionnel puisse y changer quelque chose. Par ailleurs, « Le suffrage universel est une « armoire aux possibles ». La démocratie un mirage. Alain écrivait ceci : « Si nous ne pensons pas assez à la politique, nous serons cruellement punis ».

 

Aussi loin que le peuple sénégalais existera, vivra, il gagnera. Puisse-t-il rester dans « la chevauchée des xalams », selon la belle expression de Magib Sène, c’est-à-dire toujours inscrit dans le haut honneur du terreau intrépide de nos légendes et héros : le courage, le sacrifice, le refus, la générosité.

 

Amadou Lamine Sall ~ poète 

Grand Prix de Poésie de la Ville de Trieste, Italie